LA ROUTE DU THÉ – MAISON BELJANSKI

« Écoute le vent, il parle. Écoute le silence, il est éloquent. Écoute ton cœur, il sait. » Proverbe amérindien En 1985, le Professeur M. C. Niu, directeur d’un flambant neuf Institut de biologie à Pékin, en Chine, se trouvait confronté à un problème très inhabituel. Il avait réussi à modifier la queue d’un poisson en utilisant l’ARN d’un poisson d’une autre espèce mais ne parvenait pas à isoler le fameux enzyme transcriptase inverse qui aurait expliqué comment il avait réussi cette prouesse. La découverte historique de Beljanski, quant à la présence de transcriptase inverse dans les bactéries, avait fni par être publiée, en dépit de tous les efforts de Monod, à l’Institut Pasteur, pour l’enterrer. Le Professeur Niu était intrigué. Il espérait démontrer l’existence de cette enzyme dans les œufs de poisson mais n’en avait jusque-là pas trouvé la moindre trace. Il a fini par inviter mes parents à venir travailler avec lui à Pékin pour rechercher la fameuse enzyme dans les œufs de poisson. Beljanski était impatient de confirmer par une nouvelle étude l’importance de la transcriptase inverse, certain que cela ouvrirait de nouvelles perspectives pour comprendre l’évolution des espèces. C’était aussi pour mes parents l’occasion rêvée d’échapper à l’atmosphère étouffante de l’Institut Pasteur. Beljanski et Niu ont développé une amitié basée sur un respect mutuel et qui a perduré pendant toute leur vie. Quant aux œufs de poisson, Beljanski a eu l’idée de leur ajouter une goutte de sang – riche en fer – et les chercheurs ont pu rapidement constater comment l’ARN était en mesure de transporter l’information génétique. Cette découverte a fait l’objet d’une publication commune relatant les résultats de leur collaboration. Le Professeur Niu n’a pas laissé mes parents quitter la Chine sans leur offrir un cadeau de cérémonie : une grosse boîte pleine des plus délicates variétés de thés. À l’époque, on attribuait déjà au thé de précieuses propriétés antioxydantes, mais Beljanski était plutôt curieux de tester les propriétés anticancéreuses de ces échantillons. De retour à son laboratoire, il a soumis chaque échantillon de thé à son fameux Oncotest. Il en a reporté les résultats sur une feuille de papier, puis faute de temps pour tout développer, a rangé celle-ci dans un tiroir… où elle est restée oubliée pendant plusieurs années. En 1996, quand l’armée française a saccagé le laboratoire de Beljanski, elle a forcé tous les placards et tous les tiroirs, renversant tout leur contenu. Elle a saisi le maximum dans des camions, abandonnant un sol jonché de tout ce qui n’y rentrait pas. Quelques jours plus tard, Gilda, l’assistante de mon père depuis des années a pénétré dans le laboratoire pour évaluer la situation et ramener un semblant d’ordre à ce qui ressemblait à une vraie scène de crime et c’était bien le cas, dans une large mesure. À ses pieds, littéralement, elle a trouvé une feuille de papier couverte de ce qu’elle a immédiatement reconnu comme l’écriture de mon père. Gilda a soigneusement ramassé le papier et décidé de classer dans un carton tout ce qu’elle pourrait sauvegarder. Elle a ensuite pris l’initiative de ranger provisoirement le carton dans son garage… où il est resté pendant vingt ans. Finalement, à l’occasion d’un déménagement, le carton a refait surface. C’est alors qu’on me l’a expédié  à New York. Quelques cahiers de laboratoires, des notes en vue d’un projet de recherche et sur une feuille, une liste de noms de thés. À côté de quatre d’entre eux, la mention « très anti C ». Et c’est ainsi qu’en 2016, soit vingt ans après le saccage du laboratoire, j’ai découvert que mon père avait travaillé sur d’autres produits que le Pao pereira, le Rauwolfa vomitoria, le Ginkgo doré ou les fragments d’ARN. J’ai scruté avec émotion l’écriture familière, message de l’au-delà. Rapidement, mille questions se sont précipitées dans ma tête : Est-ce que ça va marcher aussi bien que le Pao pereira ? Le thé peut être cultivé à grande échelle : pourrait-il éventuellement remplacer les autres plantes si celles-ci venaient à manquer ? Le thé est aussi nettement moins cher à produire : serait-ce là enfin une solution abordable et disponible en grande quantité ? Sur quelles lignées cancéreuses mon père avait-il testé ces thés ? Le mécanisme d’action est-il comparable ? Est-ce que ça va marcher sur différents types de cancers ? Faut-il en boire beaucoup pour constater un effet ? Quelques tasses par jour peuvent-elles offrir au moins un effet préventif ? J’ai expédié à l’Université du Kansas un mélange bio des quatre thés identifiés par mon père, et puisque nous avions déjà étudié prostate, ovaires et pancréas, nous avons décidé de tester l’efficacité du mélange sur le cancer du sein. D’autres thés commercialement disponibles ont également été testés afin d’obtenir des éléments de comparaison. Le résultat allait dépasser mes espérances : le mélange détruit les cellules cancéreuses du sein, même lorsqu’elles sont métastasées, alors que les autres thés n’ont que peu ou pas d’activité. Validation posthume de l’Oncotest ! J’ai choisi une jolie tasse de fine porcelaine, qui laisserait passer la chaleur réconfortante de la boisson et apaiserait mes mains rêches. Concentrée sur le liquide ambré qui coulait doucement de la théière, j’ai contemplé cette tasse de thé comme si elle était le centre de mon univers, puis fermant les yeux, j’ai respiré le parfum subtil, et finalement autorisé mon esprit à s’apaiser. Tenant la tasse des deux mains, méditant sur la manière dont le cœur, l’esprit et les mains viennent s’aligner pour dessiner un destin, j’ai accueilli pour un instant la joie paisible qui émane du sentiment de devoir accompli. Sylvie Beljanski